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Au bout de ma phrase

Elle s'appelle Elise. Il s'appelle Grégoire. Quelque part entre eux, il y a moi. Ma plume qui déshabille. Crue et incisive. Comme un spot qui vous ébloui et qui met en lumière une vérité, et puis une autre...

Procès d'Elise - Le psychiatre

Procès d'Elise - Le psychiatre

Nous étions déjà au 4ème jour du procès. L’avocat général appelait tour à tour les différents témoins.

Je me souviens parfaitement du moment où le psychiatre d’Elise fut appelé à la barre. Il faisait très chaud ce jour-là. Bien trop chaud pour un mois d’octobre.

La plupart des personnes présentes dans le public suait à grosse gouttes et le groupe d’élèves présent s’assoupissait et baîllait, trouvant sans doute la durée de la matinée trop longue.

L’ambiance était à la léthargie après le témoignage du commissaire et tout le monde ne rêvait que d’une chose : la suspension de l’audience de la cours d’assise afin d’aller déjeuner et se rafraîchir dans le hall d’entrée gigantesque du Palais de Justice.

Elise n’était pas présente dans le box des accusés en raison d’un malaise faisant suite aux lourdes chaleurs que nous connaissions alors et son absence fut, me semble-t-il, l’élément qui permit au psychiatre d’oser dévoiler tant de choses sur la personnalité de la jeune femme.

Enfin, le psychiatre est entré dans le box. Se tenant droit devant l’assemblée des magistrats et levant la main afin de prêter serment. L’assemblée se tut instantanément. Ce monsieur avait un charisme incroyable et subjuguait par sa prestance, son apparence soignée et moderne malgré une cinquantaine bien avancée. Une jeune femme assise à mes côté se mit à faire un portrait de lui et je lisais dans ses yeux le désir et le plaisir qu’elle prenait à le dessiner.

Contrairement aux habitudes, l’avocat général prit la parole en premier pour demander à cet expert de nous faire le profil psychologique d’Elise.

L’impression qu’il faisait au public était telle que les jeunes gens se redressaient sur leur chaise et en oubliaient probablement le déjeuner tant attendu afin d’écouter attentivement cet homme raconter son histoire. Pierre Bellemare en aurait perdu toute son aisance tellement sa voix et son langage non verbal avait prise sur celui qui aurait voulu, ne serait-ce que tendre une oreille distraite.

« Je me souviens de la première fois qu’Elise a franchi la porte du cabinet, très théâtrale avec des airs d’Emmanuelle Béart. Très blanche, presque diaphane avec de grands yeux clairs qui vous mangent du regard. Elle ne disait pas un mot. Contrairement à la plupart de mes patients qui déversent leur diarrhée verbale sitôt le pas de la porte franchi.

Elle s’est assise en face de moi et a retiré l’énorme écharpe autour de son cou laissant apparaître des traces d’hématomes dont il me semblait venir d’une éventuelle strangulation. Elle me regardait, innocente semblant oublier ces traces. Semblant n’en éprouver aucune honte. S’agissait-il peut être de jeux sexuels ? A ce stade je ne pouvais me prononcer étant donné qu’elle ne m’avait toujours pas dit un mot.

Je lui ai donc parlé de la façon dont je travaillais avec mes patients, les quelques règles auxquelles j’étais attaché pour le bon fonctionnement de mes consultations

Et je lui ai demandé le but de sa présence ce jour-là, sur le grand fauteuil noir de mon cabinet.

Sa voix était légèrement enrouée et elle toussait à chaque phrase ce qui la faisait rougir et laissait transparaître l’idée qu’elle était timide.

En m’expliquant ses difficultés de couple, puisqu’il s’agissait du motif de sa consultation, elle triturait sans arrêt son pull en laine, en remontait les manches et puis en les rabaissant subitement.

Elle me décrivait un compagnon dur et humiliant. Un homme qui ne l’aimait pas mais qui était bien incapable de la laisser partir et recouvrir sa liberté. Un homme qui l’utilisait comme un objet.

Chaque exemple qu’elle me décrivait me foutait en rogne. Et je savais déjà à ce moment-là, qu’il faudrait que je travaille mon contre-transfert mais voyez-vous, Elise avait l’art de donner envie qu’on la protège. Elle me semblait si fragile et si seule par moment. J’avais l’impression que le moindre souffle de vent pouvait la faire basculer et la casser en mille morceaux.

Je la voyais se ratatiner littéralement sur elle –même et se déprécier à en perdre tout estime d’elle-même alors que je percevais en elle un potentiel incroyable.

Je n’ai pas tout de suite compris à quel point elle était intelligente, ni à quel point elle maîtrisait certaines de ses émotions.

Il m’a fallu un certains nombres de séances pour discerner les moments où elle était dans une sorte d’hyper contrôle d’elle-même et les moments où j’avais accès à la jeune femme fragile et sensible des premières séances.

Il fallut qu’elle se mît en colère pour me rendre compte de la grande force qu’il y avait en elle. Une force destructrice, empreinte d’une violence inouïe

Elise pouvait être extrêmement manipulatrice. Tous ses gestes étaient alors contrôlés et destinés à me faire voir sa réalité comme étant l’unique et seule version des évènements qui la traversaient à ce moment-là.

La première fois que je l’ai vue ainsi, ça me fit froid dans le dos. Son regard était glacial et dur. Elle était comme dénuée de tout ressenti, de tout intérêt pour le ressenti de l’autre.

J’ai souvent eu l’occasion de parler d’elle à un confrère. Je ne me sentais pas capable de gérer une thérapie avec elle. Elle bouleversait trop de choses en moi et pourtant je ne me suis jamais résolu à stopper nos rendez-vous, tentant de lui apporter mon aide et le professionnalisme qui me caractérisait tant à l’époque.

Mais la vérité, c’est qu’elle m’avait ensorcelé. Manipulé pour être précis. Comme une vraie perverse narcissique.

Je dois avouer qu’avec l’aide de mon confrère, nous avons découvert bien avant le drame qu’elle était ainsi. Perverse. Et en même temps… Je doutais perpétuellement de ce diagnostic.

Elle n’était pas toujours dénuée d’émotion. Elle pouvait être empathique. Je ne voulais pas admettre que tout n’était que jeux.

J’en ai croisé des pervers narcissiques et quelque chose ne collait pas.

Au fur et à mesure que le psy débitait son discours, il semblait soudain moins charismatique, plus vieux. Son visage s’affaissait sous le poids des souvenirs, des regrets, de la culpabilité peut-être.

Les bâillements de l’assistance reprenaient, et j’aperçu même un magistrat regarder l’heure.

L’avocat général s’impatientait tout en ayant le regard satisfait par les propos du psychiatre. Jugeant que la suite des questions pouvait attendre, elle remercia l’expert tout en proposant la pause méritée que tout le monde attendait.

Le bruit des chaises en mouvement et l’affairement n’arrêtèrent pas l’avocate de la défense qui, malgré son jeune âge, n’hésita pas à interrompre ce remue –ménage pour demander au juge président de lui permettre de poser une seule question à l’expert avant la suspension de l’audience.

Intrigué le juge accepta et de mauvaise grâce, tout le monde se rassit non sans souffler bruyamment son mécontentement.

La jeune femme regarda alors le psychiatre droit dans les yeux et d’une voix assurée lui demanda :

  • Est-il vrai que vous avez eu des relations sexuelles avec l’accusée, docteur ?
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R
Merci infiniment pour ce joli commentaire! A bientôt
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B
Vous avez un talent fou , merci , j'ai pratiquement tout lu , à bientôt
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